La valse des hamacs

3 Décembre: Nous nous levons à 5H, réveillés en sursaut, un homme de l’équipage tambourine aux murs de cabine de tôle qui résonne, nous ne nous levons pas mais il insiste et tape sur les fenêtres comme un fou. Thille se lève, ouvre la fenêtre et l’homme recule reconnaissant son erreur. Puis l’eau coule sur notre toit, à flots, cela résonne comme s’il pleuvait à verse sur nos têtes. Ils remplissent la cuve des douches. Les grâces matinées s’annoncent tendues sur ce bateau.

Au moins 200 hamacs sont pendus, des enfants hurlent, d’autres jouent à cache-cache entre les hamacs et bousculent ceux qui essayent de dormir, l’odeur de la sueur prend le dessus sur celle de la sauce qui mijote en cuisine.

Le départ de 9H se profile à 10H. Puis rien ne se passe à 10H.

Rien ne bouge sauf la coque qui vibre sous les assaults d’autres cargos accostants en force à côté de nous. Ici les pares-battages n’existent pas et les coques s’emboutissent devant les yeux indifférents de l’équipage. Pourtant ce ne sont pas les vieux pneus qui manquent...

12H30, ça y est, nous larguons les amarres... nous n’y croyions plus. Enfin nous disons adieu à Pucallpa et allons manger notre poulet-riz habituel en regardant les hamacs inhabités se gonfler au vent comme des cocons.

Le soleil nous accompagne pour le départ mais nous abandonne l’espace d’une demie-heure pour nous laisser entrevoir ce que peut être une tempête de fleuve. Visibilité nulle, vagues qui claquent, le fleuve se transforme en mer déchaînée, la pluie tombe drue. Puis le ciel se disloque, le bleu reprend sa place et le soleil cuisant ne nous quitte plus de la journée.

Nous observons le trafic du fleuve, en majorité des pousseurs dont les barges sont remplies de bois de la forêt vierge.

4 Décembre: Réveil en fanfare à 5H, ça va devenir une habitude. Les gars nettoient le pont supérieur et marchent sur les tôles au dessus de nos têtes qui se gondolent et claquent sous leur poids, le bruit assourdissant nous sort du sommeil pour nous faire entrer dans un cauchemar sonore.

Nous arrivons à Contamana, c’est une étape qui nous permet de nous dégourdir les pattes. Claude et moi entraînons le pilote avec nous ce qui nous garanti de ne pas voir le cargo filer sous nos yeux.

Le coucher de soleil nous offre un spectacle digne de ceux que l’on peut voir en mer, puis laisse la place à la lune complètement dégagée.

Nous repartons une 45 m plus tard et accostons ensuite à Inahuaya, une communauté de maisons de palme dont le quai n’est autre que la berge. Les gars du village chargent eux même leurs vaches, c’est un vrai spectacle pour tout le monde. Les vaches ont une technique infaillible pour faire enrager les humains, elles se laissent tomber raides au pied de la coupée. Les humains ont une tactique infaillible pour faire se relever les vaches, leur tordre la queue jusqu’à ce qu’elle sursaute de douleur. Lorsque cela ne suffit pas, il vont même jusqu’à leur mordre à pleine dents!

Les pauvres bêtes ruent, grondent et envoient leurs sabots de partout et font même valdinguer un fût d’huile de moteur à la flotte.

Des hommes ont fabriqué cet après-midi des enclos de fortune avec des palettes pour entasser les bêtes dedans. Le tragi-comique de la situation réussit à nous faire sourire malgré la souffrance que l’on éprouve pour elles, en espérant secrètement que l’une d’entre elle envoie un gars ou une motocyclette à l’eau.

11 vaches et taureaux au total.

Nous ne sourions plus lorsque nous les voyons se coincer entre les palettes, une couchée et écrasée par les autres, une autre la corne cassée, en sang.

Les autres spectateurs s’éclatent à regarder ça alors que nous avons envie de pleurer. 11 vaches en plein soleil sans eau ni nourriture, et ce, jusqu’à Iquitos, soit dans 3 jours où elles finiront le voyage et leur vie par la même occasion.

Ce long manège terminé, nous repartons pour accoster à nouveau dans une autre bourgade, Orellana. Un grand comité d’accueil nous attend sur la berge. Aussitôt amarés, une foule de vendeurs de fruits, jus, poissons grillés s’empressent de monter à bord avant même que les passagers débarquent, ce qui crée un drôle d’embouteillage, une vraie anarchie qui met du temps à se désengorger.

La journée est bien passée, il fait chien-loup et c’est de nouveau l’heure de manger notre poulet-riz quotidien. Frais et plumé à bord! Nous aurons une fois des spaghetti, mais avec du riz et du poulet.

5 Décembre: Encore une mauvaise nuit. Ce navire est un véritable monstre vivant qui nous aurait avalé, et, au fond de son estomac, nous subissons les bruits effroyables de son antre. Il gronde, grogne, grince, éructe, tousse, pète et rote. A peine un objet, si petit soit-il, tombe sur la tôle, le son en est amplifié, démultiplié, sa répercussion sonore est sans mesure disproportionnée.

Thille à le rhume, il ne dort pas et assiste à toutes les escales, dans le noir complet, à se demander comment le pilote, n’allumant son phare que très occasionnellement, s’y retrouve pour aller livrer parfois qu’une seule maison isolée. Après observation des manoeuvres, Alain, (qui a le rhume aussi) et Thille en ont déduit que le pilote suit le courant en se dirigeant vers les troncs d’arbres flottants, qui donne une indication sur la profondeur du fleuve. Là où se trouve les troncs, le courant est le plus fort, donc le fleuve plus profond!

Donc Thille est malade, et est rongé par l’ennui. C’est la croisière s’amuse.

Notre vitesse de croisière paraît de plus en plus lente, notre cargo dessert de nombreuses et infimes communautés, nous chargeons des poules, des bananes, cochons...

Le tout s’entasse sur la cargaison déjà si mal chargée!

Nous arrivons dans un village nommé Juancito dont les coordonnées GPS sont affichées sur un panneau. Je vais donc vite voir sur la carte à quel endroit nous sommes, et cela ne remonte pas le moral de mon Doudou qui dépérit à vue d’oeil.

Le soleil est écrasant, nous ne savons plus où nous mettre, pas d’ombre sur le pont, trop chaud à l’intérieur du monstre. Pas de vent non plus, la journée ne passe pas, seul défile inlassablement le rideau vert et bleu de la forêt. Personne ne bouge sur le bateau, pour une fois, il règne un calme incroyable, on dirait que tout le monde est mort subitement.

Une seule attraction néanmoins, nous livrons, après 3 jours en plein cagnard, des pains de glace conservés dans de la sciure. Intactes! la sciure n’est même pas mouillée. Incroyable par une chaleur pareille. Cela fera de la place en plus pour les vaches.

6 Décembre: Nous naviguons mollement sur le fleuve sinuant. Thille voit un dauphin rose, ce sera tout dans la journée, je l’aurais loupé. Nous faisons des bracelets et bagues en perles à nos petites copines, qui vivent à Iquitos, Dala, Margarita, Valentina, et le petit Fabien.

7 Décembre: Nous arrivons à Iquitos avec 2H d’avance!!!! Le port nous paraît complètement désorganisé, de nombreux bateau sont là pour faire les navettes soit à Pucallpa, d’où nous venons, soit à Tarapoto, où se trouve nos véhicules, soit à Leticia, en Colombie. Le port est un vrai bordel, des mototaxis de partout, pas de quai, nous descendons du bateau pour nous retrouver dans une dechèterie pleine de trous, et sommes heureux d’arriver un jour bien sec car tout cela se transforme sûrement en bourbier infâme en cas de grosse pluie.

Il va de soit que nous ne retournerons pas à Tarapoto en bateau comme nous l’avions prévu, mais en avion, bien plus rapide! J’en connais un qui ne supporterait pas.

Nous accostons en force en faisant quelques bosses aux bateaux voisins. A vue d’oeil ça ne passe pas du tout, mais ici, rien n’est impossible!

Nous y voilà enfin, après avoir vécu 4 jours avec Claude et Alain au rythme du fleuve Ucayali et après avoir trouvé un hôtel, nous partons vite voir aux agences de voyage pour réserver un vol pour dans 3 jours, ce qui nous laisse le temps de visiter cette ville, la plus grande d’Amazonie non reliée par la route, et d’où l’Amazone commence sa longue route jusqu’à l’Atlantique.