La route de la galère

11 Décembre: Nous partons sur la route de Tingo Maria. La route a mauvaise réputation car c’est dans cette région que les narco-trafiquants ont établi leur laboratoires afin de transformer eux même la pâte de coca en cocaïne, c’est ici aussi que se trouvent tous les champs de coca illégaux. Ceci dit, une fois sur cette route, aucun villageois à qui nous avons parlé, ni aucun policier ne nous a mit en garde, le calme semble être revenu sur cette route, la police veille. D’ailleurs, c’est ici que nous voyons les policiers les mieux armés, fusils mitrailleurs, plusieurs chargeurs aux ceintures, sacs de sable devant les commissariats, voitures 4x4 blindées mitrailleuses à l’arrière, hélicoptères de guerre en vol constant... ça ne rigole pas.

Le paysage est splendide, nous longeons le fleuve Huallaga, la nature est généreuse, mais... la route est défoncée. Par moment, le goudron est si mauvais qu’il donne l’impression d’avoir été bombardé. Cela nous crispe. Quelques passages de piste lisses nous repose un peu dans de petits villages aux habitants adorables.

...mais au bout de quelques km avalés, nous crevons un pneu. Thille répare sur place et nous continuons sur cette piste, qui n’est pas seulement celle de la coca, mais aussi du cacao et du café. C’est la période où les fèves sèchent au sol sous le soleil piquant que la saison des pluies n’arrive pas à faire déguerpir. Tant mieux pour nous.

Nous nous arrêtons pour dormir sur un terrain de foot dans un village. Les habitants, intrigués comme toujours par notre Bestiole extra-terrestre, viennent à nous, discutent un peu, puis nous observent. Sans plus bouger, sans rien dire. Ils sont installés devant nous dans la pelouse et nous regardent vivre. Situation un peu embarrassante car notre camion est grand ouvert sur l’extérieur, il n’est pas question de s’enfermer. La communication est un peu plus difficile qu’ailleurs aussi pour nous car les accents sont prononcés, le langage plus rural.

Le stade se trouve à côté de la rivière. Nous y descendons pour nous laver, et nous nous retrouvons avec tous les enfants du village dans l’eau, des femmes se lavent, d’autres font la lessive, la rivière est le lieu convivial par excellence, tout le monde s’y retrouve. Un peu dur de se laver en toute intimité, mais ça fait parti de la vie du voyage.

12 Décembre: La route longe le Huallaga, mais parfois doit aussi le traverser, et comme un des ponts est en travaux, nous devons emprunter un bac, enfin, deux péki-pékis (pirogues à moteur) sur lesquelles sont posés des planches en travers. Les pilotes naviguent face au courant, si fort que nous avançons en crabe, technique parfaitement étudiée pour arriver au bon endroit sur l’autre rive.

C’est en arrivant sur l’autre rive que nous nous apercevons que nous avons crevé à nouveau, mais on a fait mieux qu’hier, deux pneus à la fois du même côté! C’est un peu la crise vous vous en doutez... et route de M... et P... de B.... de pneus pourris...

Bref, on s’en sort en mettant une roue de secours cette fois-ci puisque le clou ne veut pas sortir.

Alors nous revoilà en route, sous une chaleur de plus en plus torride, et un goudron de plus en plus chaud.... quand tout à coup PAF FLOP FLOP pfrfffff, et oui, je vous laisse deviner la suite. La chambre à air a explosé. Bon, restons calme.

Il nous reste de la chambre à air neuve, on regonfle et c’est reparti vers Tingo Maria, où nous arrivons à la nuit tombée, bien fatigués. Un policier vraiment adorable nous escorte à moto jusqu’à un lodge qui sera notre havre de paix pendant deux jours.

Piscine et rivière au programme, après avoir maté ce minuscule clou.

L’endroit est idyllique, fleurs, papillons, deux piscines, deux rivières fraîches, un mini golf, des bons petits déjeuné exotiques,tout pour calmer les esprits, surtout que l’endroit est pour nous tout seul.

15 Décembre: Il y a des fois où on ne bougerait plus d’un poil. Ici c’est le cas, c’est à contre coeur que nous quittons la villa Jennyfer de Tingo Maria, mais nous avons de la route à faire. Enfin, de la piste. En 200 km de temps, nous passons de 300 à 5500m d’altitude. Autant dire que la tête est lourde. Et la piste comme bombardée, des trous, de la boue, de la pluie. Nous demandons notre chemin à toutes les personnes rencontrées, il n’y a qu’une piste, mais nous demandons quand même. La montagne d’un côté, le précipice de l’autre, l’étroitesse de celle-ci nous oblige à faire quelques marches arrières périlleuses au croisement de camions. L’expression «faire de l’huile» est toute appropriée.

Nous ne faisons même pas 100 km en 5 heures après Huancavelica. Ayacucho est soit disant au bout de cette unique route. Nous dormons à 5500m sans pouvoir faire autrement. Dormir est un bien grand mot. Il fait -17°. Nous avions ce matin 40°. Nous sommes dans les Andes centrales, ce n’est pas pour notre plus grand bonheur.

16 Décembre: Réveil très dur, mais il faut bouger, et arriver vite à Ayacucho, alors nous continuons dans l’enfer froid pour, après une heure de piste, déboucher devant une barrière et un vigile. Nous lui demandons si c’est le chemin d’Ayacucho, il nous répond, mais pas du tout, ici c’est une mine, il n’y a pas de chemin d’ici pour Ayacucho. La route n’existe pas. Les Andins, plutôt que d’avouer ne pas savoir, nous on conforté dans notre direction, une mauvaise. Et pourtant, il n’y en a qu’une depuis le début, et sur la carte elle existe. Mais seulement sur la carte.

Après les crevaisons, l’altitude, la piste qui maltraite notre Bebête et notre humeur... même voire des vizcachas par dizaine ne nous réconforte pas. Il faut faire demi-tour. De longues heures de piste en sens inverse.

Puis le Thille trouve que l’embrayage est un peu mou parfois. Nous ne pouvons rien faire maintenant, alors nous continuons, décidons de prendre la piste qui mène à l’asphalte, nous éloignant de notre but, mais pas d’autre solution possible. Un panneau indique Pisco, 250km. Nous prenons cette piste. Mais l’embrayage est vraiment mou, puis d’un coup, plus rien. Hum. Nous sommes à 4800, trois maisons et les montagnes. Nous nous arrêtons sur le terrain vague qui sert de place, et le verdict est mauvais. Plus d’huile dans le système hydraulique d’embrayage. La série noire continue, pas où nous le souhaiterions. Nous purgeons le système, remettons de l’huile, et trois heures plus tard, nous retentons de rouler. Mais au bout de 40 km, toute l’huile est de nouveau partie. Nous arrivons à ce moment là à la route asphaltée qui part soit à l’Est vers Ayacucho,où nous souhaitions aller, soit à l’Ouest vers Pisco. Il n’y a plus rien à faire pour aujourd’hui, et il pleut.

Un policier vient taper la causette, boire un coup avec nous, et nous annonce qu’il vient de se produire un accident grave sur la route d’Ayacucho, un éboulement vient de faire neuf morts. Alors là on relativise, et on se dit que la panne nous a sauvé car nous devions être, sans cette panne, sur cette route, à cette heure-ci.

Nous aurions été soit coincés des lustres, soit écrabouillés.

Nous sommes dépités, et nous nous réfugions dans un boui-boui pour manger chaud et regarder des séries débiles à la télévision, ne sachant quoi faire, puisqu’il n’y a pas de dépanneuse ici.

La nuit porte conseil dit-on.

17 Décembre: Après une nuit tourmentée, nous décidons d’aller à Lima en passant les vitesses «à l’arrache» car nous pensons que s’il faut trouver des pièces, il n’y a qu’ici que nous les trouverions. Tant pis pour les km en plus. Nous roulerons en seconde sans changer les rapports. Puis en troisième en descente, et ce, pendant 400 km. Arrivés à Lima vers 18h, nous sommes obligés d’attendre plus de minuit sur le bord de la panaméricaine pour que la circulation s’évanouisse un peu.

Nous arrivons à l’hôtel épuisés, stressés mais heureux d’être arrivés là.

18 Décembre: Démontage: c’est le piston du maître cylindre d’embrayage secondaire qui est usé. Nous faisons la connaissance de Suzanne et André, des Québécois adorable qui seront d’un grand soutien.

Du 19 au 22 Décembre: Nous sommes allés voir le mécano qui nous avait fait les changements de joints en Octobre, il s’est chargé de la mission et a fait usiner la pièce.

23 Décembre: Montage, tout a l’air de bien fonctionner. Nous croisons les doigts pour la suite. Nous passerons le réveillon de Noël avec Stéphane, notre ami qui avait gardé notre camion à Lima pendant notre escapade Martiniquaise. Finalement, cette panne nous permet de revoir des amis et de faire des connaissances, même par internet, du coup nous en profitons pour remercier toutes les personnes qui se sont préoccupés de notre problème en nous envoyant des messages solidaire afin de nous aider à trouver des solutions. Il y a du bon dans toute chose.