Mission accomplie

2 Octobre: Nous passons devant les missions Jésuites Argentines construites au XVII siècle dans la forêt tropicale. Ce serait dommage de ne pas les visiter, tout en sachant que nous ne serons pas tant séduits que par les missions Boliviennes.

Devant la nouvelle ségrégation concernant les tarifs quintuplés pour les étrangers, Thille me laisse y aller seule. Heureusement le billet d’entrée vaut pour la visite de toutes les ruines, mais quand même...

Ces missions n’ont pas été restaurées, seules les ruines de San Igniacio mini sont maintenues à l’état de ruine, quelques murs écroulés ont retrouvé l’ordre de leurs pierres, mais il ne reste pas grand chose mis à part la très belle entrée et ses anges sculptés.

Les missions, ou «reducciones», sont toutes agencées selon le même modèle: au centre, église, ateliers d’artisanat et collège. Dans ce même carré central se trouvent la maison des veuves ou femmes ne respectant pas les codes de vertu, la prison et le cimetière, puis autour, les habitations des Guaranis.

Le décor dans lequel elles se trouvent contribue beaucoup à l’appréciation de ces ruines, les arbres hauts et les plantes épiphytes envahissent les environs, la verdure contraste avec les pierres rouges de ces anciennes constructions, papillons et

oiseaux achèvent d’harmoniser le tout.

Ma visite est tranquille, je suis seule avec trois ou quatre autres personnes dispersées dans ce lieu immense.

Mon Thillou se fait donc chauffeur et emmène madame voir sa seconde mission, Nuestra Senora de Loreto. Pour le coup, je suis bien seule de chez seule, et je peine à trouver les quelques vieilles pierres qui ont survécu à la force invasive des plantes et arbres tropicaux. Je me dis qu’il était temps que l’UNESCO les inscrivent au Patrimoine mondial de l’Humanité... il ne reste vraiment rien. Mais je suis très contente de ma promenade dans cette forêt où les insectes m'intéressent plus que la recherche désespérée d’un mur ou deux... je me fait frôler par trois magnifiques papillons morphos et j’écoute les cigales Sud Américaines qui ne parlent pas le même langage que nos cigales provençales.

Je marche beaucoup et tombe nez à nez avec un cimetière abandonné, je lis de loin que les tombes datent des années 40 et je ne comprends pas comment ni pourquoi il y a un cimetière ici noyé dans la végétation.

Je reviens de ma balade solitaire et trouve que la dame de l’entrée me regarde d’un drôle d’air, et tous les gars dans la voiture avec qui elle discute se sont arrêtés de parler pour me regarder. Et je comprends pourquoi lorsque le Thillou me raconte que celle-ci est venue lui demander pourquoi il n’était pas descendu visiter les ruines, et cette banane lui a raconté que j’étais une

femme très très riche qui le payait pour me conduire dans les pays Sud Américains avec ce petit camion. On s’est bien marré en s’imaginant toutes les questions que ça pouvait soulever dans leurs esprits, mais où dort il? Est-ce vous croyez qu’il lui fait à manger aussi? Il y a t’il des petits extras compris dans le tarif? Ou est-ce todo incluido?

Bon, au boulot chauffeur, déposez moi maintenant à Santa Ana!

Et comme à Loreto, ce ne sont pas les ruines qui sont intéressantes, mais la nature environnante, ainsi qu’un cimetière incroyable, complètement abandonné, pillé, les cercueils ouverts dont les tissus ont été déchirés, il y a même un cercueil d’enfant avec un haut de crâne à ses côtés, et les figuiers maudits, qui pour une fois portent bien leur nom, transpercent les mausolées, voilà une atmosphère frissonnante digne d’un bon film de revenants. J’en sors assez choquée, je ne pensais pas que les cimetières profanés se visitaient.

Puis la visite des ruines... ici se trouvait le potager des Jésuites... ici le petit canal qui irriguait ce potager... là, la maison des veuves...mouais.

Nous passons les jours suivant dans les thermes de Chajari, c’est vraiment agréable de pouvoir s’offrir une cure thermale à très bas prix, pour une fois, nous ne sommes pas taxés plus cher, au contraire, ils font même tarif retraité à mon Thillou! Nous y restons la semaine à profiter des bains chauds à remous et du wifi du petit café.

La suite n’est pas folichone, les gendarmes continuent à nous arrêter systématiquement (nous sommes dans la province d’Entre Rios, la province que tout le monde redoute de traverser car les policiers sont réputés pour leur mauvais esprit à chercher la cinquième patte du chat afin de coller une prune aux moins rebelles, l’inspection et le bras de fer peut durer des heures jusqu’à ce qu’une des deux parties cède. La prune, ils la veulent en liquide bien sûr...) enfin, nous sommes assez aguerris maintenant pour ne pas nous laisser faire, mais nous n’avons pas du tout l’envie de négocier à chaque fois... et nous avons de la chance: la gendarmerie contrôle ceux qui descendent la route 14, la police est en face, pour ceux qui la remonte! Nous avons échappé à 6 barrages. OUF, le plus dur est fait.

Nous pensons nous caler quelques jours au Parc National El Palmar, mais encore une fois, la note est quadruplée pour nous étrangers, nous y allons quand même pensant faire un peu de randonnée, mais les sentiers sont fermés, et pour couronner le tout, interdiction de camper librement, alors nous partons, tant pis, nous avons payé l’entrée pour rien, mais ça nous déçoit de devoir payer 80 pesos de camping alors que dans tous les parcs nationaux Argentins que nous avons visité, le campement libre est autorisé.

Et ce n’est pas tout, nous passons trois péages où la note est aussi doublée parce que nous avons une plaque étrangère... mais que se passe t’il? Nous n’avions jamais été autant pressé comme des citrons que ces derniers jours, l’Argentine aurait elle perdu la tête? Veut elle faire fuir ses amoureux?

Bon, on se dit que c’est la province qui veut ça. Nous apprenons même par une personne qui vit à Buenos Aires que dans cette province, la police demande à ce que tous les véhicules soient équipés, en plus des triangles-extincteurs-trousse pharmacie: d’un sac mortuaire! Il est mentionné qu’un drap fera l’affaire. Nous sommes tranquilles, nous avons deux housses de couette, nous pouvons mourir tous les deux sans se prendre d’amende!

Nous passons une semaine à San Antonio de Areco, à 100 km de Buenos Aires, dans une station très bien équipée, pelouse, douches propres et chaudes, wifi , resto, super marché... nous regardons tous les jours le programme de notre cargo qui doit arriver le 22 Octobre.

Nous nous rendons chez nos amis Omar et Alicia mercredi 19 Octobre afin de passer nos derniers jours dans ce pays avec eux. C’est une joie de les revoir car ce n’était pas prévu, la dernière fois que nous les avons quitté, nous devions remonter au Nord du continent, mais notre changement de chemin nous permet de voir également les trois soeurs qui viennent de Céres pour accueillir leur frère Luis qui doit arriver avec la frégate samedi, le jour de notre départ.

21 Octobre: Nous avons rendez-vous avec le commercial de chez Grimaldi pour faire la paperasse concernant notre embarquement. Il nous annonce une arrivée différée du navire, nous embarquerons mardi 25. C’est génial, nous allons pouvoir accueillir Luis avec toute sa famille à l’arrivée de la frégate Libertad.

22 Octobre: Accompagnés d’Alicia, Omar, Ana, Norma, Nelli, Alessandra et Ricardo, les cousins, nous partons au port pour assister à l’arrivée de la Fragata Libertad, prévue à midi.

La frégate est partie il y a cinq mois, et les familles sont impatientes de retrouver les leurs, pères, frères, maris...

A midi pile, la voilà, elle apparait dans le chenal, la fanfare joue, les navires militaires klaxonnent, les gens crient de joie, la frégate tire au canon, l’émotion est palpable, c’est magnifique.

Voilà une belle arrivée en fanfare, mais toute aussi solennelle, les officiers et sous officiers sont présents en uniforme sur le pont, les matelots dans les mâtures et se retiennent de rendre leurs saluts aux familles excitées sur le quai brandissant les banderoles de bienvenue!

Alicia et ses soeurs sautent de joie à la vue de Luis.

Les marins descendent en contenant leur joie, et à quai, ce sont les larmes de joie, les embrassades, les bisous partout.

Et voilà notre Luis national qui arrive le sourire aussi grand que ses bras sont ouverts.

Nous montons à bord pour faire des photos de famille, et repartons à l’appartement de la famille Corbalan. Nous sommes nombreux, mais on s’organise. Nous sommes un peu embêtés d’être là car Agostina nous laisse sa chambre, alors que le reste de la famille s’entasse dans les chambres avec des matelas.  Nous pourrions dormir dans notre camion, mais il n’y a pas moyen de négocier, ils sont plus durs en affaire que les policiers!

Toute l’Argentine représentée dans son drapeau, un peuple ensoleillé, pour qui, malgré les difficultés du quotidien dans un pays qui passe de crise en crise, le ciel est toujours bleu.

Nous n’avons pas fini de faire la fête, ce soir, nous fêtons l’anniversaire de Luis, qui souffle sa bougie sur un gâteau de 5 kg! Aller, après les bons repas de ces derniers jours préparés par Omar, voilà le coup de grâce!

23 Octobre: Aujourd’hui Dimanche, les Argentins vont élire leur président. Et le résultat est sans surprise aucune...

C’est aujourd’hui que repartent les «paysannes de Céres» comme Alicia les appelle avec humour, nous essayons de ne pas être triste. Quand nous reverrons nous?

25 Octobre: Luis souhaite préparer une paella pour notre dernier repas ensemble, nous partons dans le quartier populaire de Liniers dans les marchés Boliviens pour nous fournir en épices, poissons, beaux légumes. Ce quartier est un petit concentré de Bolivie, cela nous fait un immense plaisir de nous retrouver à déambuler devant ces boutiques qui nous rappellent tant ce pays que nous avons adoré.

Omar et Alicia invitent leurs amis les voisins Raquel, Hugo et leurs enfants, Agostina et son fiancé Federico sont là aussi, Ezequiel, récemment diplômé en médecine et interne à l’hôpital nous fait le plaisir de sa présence malgré la fatigue qui se lit sur son visage, il enchaine les jours et les nuits de garde sans dormir et rentre chez lui comme un zombie qui s’endort à table. Nous sommes désolés de le voir ainsi surtout avec le monde qu’il y a en ce moment, il doit être difficile pour lui d’être obligé d’enjamber des matelas à 4H du mat lorsqu’il reprend du service. Merci Ezequiel pour ta bonne humeur malgré tout!

Pendant que Luis prépare la paella, Omar accompagne Pépé, le jeune neveu qui vit du Polo aux USA, à l’aéroport. Cela fait deux fois qu’il ne peut pas prendre l’avion. La première, la semaine dernière, son vol a été annulé à cause du volcan Puyehue qui continue à cracher ses cendres, vendredi, c’était parce que son passeport était périmé. Ce soir, c’est peut-être la bonne. Sacré Pépé, bonne chance à Atlanta!

Omar revient sans Pepe, ça y est, normalement, cette fois, c’est la bonne!

Tout le monde tourne autour de Luis dans la cuisine pour goûter un peu de la paella, à première vue, nous allons nous régaler encore une fois.

N’est-ce pas?

Et chacun veut nous faire croire que c’est lui qui l’a faite! Surtout toi Alicia, on va te croire, coquine va!!!

26 Octobre: Ce matin nous apprenons que le vol de Pepe a été annulé hier soir, la compagnie aérienne a logé les passagers à l’hôtel. Encore l’occasion de rire pour Alicia, elle lui dit que finalement, même avec 5 semaines de cargo, les Français vont arriver avant lui dans leur pays!

C’est le jour du grand départ. Luis doit se rendre tôt à la frégate, nous allons l’accompagner puisque notre cargo se trouve à 5 min à côté. C’est l’heure de nous dire au revoir, le coeur gros, vraiment. Alicia et Omar prévoient dans quelques années un voyage en France. Nous y croyons fort, nous serions tellement heureux de pouvoir les accueillir à notre tour, leur faire visiter notre pays si petit mais si varié, avec une richesse culinaire qui ferait le bonheur de Omar!

Nous déposons Luis devant la frégate, on s’embrasse fort, et nous lui disons que nous ne sommes pas tristes car Luis n’aime pas les gens tristes! Et puis, la Libertad fait souvent le tour du monde, alors nous nous reverrons peut être à la prochaine Tall ships race à Toulon!

Luis est le premier Argentin avec qui nous avons sympathisé, le premier jour de notre arrivée. Et c’est aussi le dernier Argentin que nous embrassons avant notre retour en France. La boucle est bouclée en beauté et comme il se doit. Luis, tu es notre trait d’union!

Merci à tous, nous vous aimons très fort.

Nous voilà sur le port, prêts à l’embarquement. La préfecture maritime nous passe au scanner rayon X, et puis une petite fouille du camion, aller va, une petite dernière pour la route! Thillou doit sortir les outils, les bidons d’essence, quelques chose les chiffonne mais ils ne trouvent pas quoi, alors ils fouillent l’intérieur aussi, les placards... mais rien. Pfff. Qu’est-ce qu’ils croyaient trouver, une bombe? Bon, nous attendons encore un peu, un homme vient nous chercher pour passer sous un deuxième scanner... celui de la douane cette fois ci. Nous n’arrivons pas à y croire, jusqu’au bout...

Puis nous embarquons enfin, en espérant voir notre amie Véro qui était sur ce même navire pour revenir avec son scania en Amérique du Sud. Mais nous nous loupons, alors nous sortons du cargo pour lui envoyer un mail afin de nous coordonner pour une sortie ce soir. Nos amis Argentins voulaient aussi éventuellement manger avec nous ce soir au restaurant, mais nous loupons Luis à la frégate, et sans portable, les rendez-vous sont plus difficiles à organiser.

Nous allons à pieds à Puerto Madero pour la trouver. Nous trouvons son camion vide. Par contre nous rencontrons deux familles, un Française avec trois enfants qui vient d’arriver avec Véro sur le Grande America, et une Belge, Catherine et Nicolas et leurs trois garçons qui eux sont autour du monde depuis 3 ans et demi, dont le but du voyage est de projeter des dessins animés aux enfants dans les petits villages du monde.

www.angaleo.com

Nous laissons un mot sur la porte du camion de Véro et partons manger une dernière parilla dans un super resto tous les deux en amoureux. En fin de repas, Véro nous retrouve enfin, accompagnée de Babette et Alain, un couple qui se lance dans l’aventure Sud Américaine après avoir parcouru la route de la soie. Quelle joie de nous retrouver! Mais nous avons la permission de minuit, et le temps passe trop vite, nous devons rentrer au bateau avant d’avoir pu nous raconter tout ce que nous voulions.

Véro nous raccompagne au port, et nous voilà à minuit pile dans le Grande America sans s’être transformés en citrouille.

27 Octobre: 6h du mat, le cargo sort du port.

Nous allons sur le pont afin de jeter un dernier coup d’oeil à Buenos Aires qui se trouve maintenant dans notre sillage, heureux d’avoir accompli notre voyage sans embûches, sans panne majeure, sans accident, sans agression, nous n’avons rencontré que de bonnes personnes ce qui nous conforte dans l’idée que le monde est peuplé de beaucoup plus de gens biens que de mauvais.