Le blues de Salta
et la joie de Calilegua

24 Juin: Nous arrivons en fin d’après midi à Salta et pensons pouvoir apprécier la douce chaleur hivernale de cette région où les tomates poussent toute l’année. Mais voilà, c’était sans savoir qu’une vague de froid polaire allait s’abattre sur les Andes et toute les provinces alentour, jusqu’en Bolivie tropicale. C’est bien notre veine.

25 Juin: Le froid nous tire du lit. Aujourd’hui, c’est journée repos, nous allons flâner en ville et manger une milanesa géante au mercado central, l’endroit le plus bruyant et le plus populaire du coin. Dans l’assiette: des grosses frites, du riz, des oeufs frits, et une escalope de boeuf si plate qu’elle ne se maintient que grâce à la croûte de chapelure qui l’enrobe. Diététique à souhait, on ne peut finir cette plâtrée à 3 euros. Mais on aime bien, et on ne remange pas le soir.

Nous sommes seuls ou presque au camping. Pas un Français à l’horizon... bizarre, c’est pourtant un endroit stratégique pour ceux qui descendent de l’altiplano et ont besoin de réparer deux-trois choses, et pour ceux qui montent et qui se préparent à affronter les pistes Boliviennes. En bref, Salta est à la croisée de tous les chemins.

26 Juin: Zut c’est Dimanche, il n’y a rien à faire d’autre que de faire du wifi toute la journée. De plus, la température continue de chuter, il fait 7 degrés au soleil, et nous avons doublé les couettes dans la chambre de toit car il fait largement en dessous de zéro à l’aube.

27 Juin: Journée repuestos, c’est à dire courir toute la journée dans tous les magasins de pièces détachées automobile pour se munir de tout ce qu’il faut pour attaquer le grand carénage.

Vernis, huiles, papier de verre, outils et petites pièces diverses, et voilà un Thillou paré pour la première vidange.

28 Juin: Après vérification des garnitures de freins qui sont restées impeccables après tous ces kilomètres en Amérique du Sud, on ne peut qu’en déduire que le Thille est un as de la conduite. Bon je vous vois tous déjà en train de vous marrer du genre: ouais, mais avec votre machin vert, vous allez tellement doucement que nous n’avez jamais besoin de freiner!!!

Bon d’accord, mais quand même, il y a des fois où on roule à 80! Alors un coup de pinceau sur chaque garniture, et hop, le tour est joué.

Mais les vidanges ne font pas partie des activités préférées de mon doudou dont le moral est atteint par le froid, le manque d’activité physique et la contrariété de devoir se mettre au boulot pour l’entretien de la Bestiole. C’est vrai qu’il fait froid depuis longtemps pour nous: Nous étions en hiver en France, en Automne en Patagonie, et à nouveau en hiver dans le Nord Ouest Argentin. Sans parler des 4 mois en Patagonie Atlantique avant de retourner en France où ce n’était pas vraiment la chaleur du Mexique. J’ai compté, cela fait 11 mois qu’on traine nos polaires sur le dos.

Alors bien sûr, on ne doit pas se plaindre de notre condition de vie que nous avons choisie, et certains doivent bondir alors que je vous parle de nos états d’âme. Pour ma part, bien que je souffre grandement du froid, la vie de nomade me convient parfaitement, les découvertes lors de ce voyage, quelles qu’elles soient, comblent ma curiosité et cela m’épanouit pleinement. Mais pour le Thille, c’est une autre histoire. Il lui faut plus d’action, il lui faut plus de moyens de se dépenser. A un endroit où il me suffit d’être contemplative pour apprécier la liberté de notre mode de vie,  mon Thillou lui, s’ennuie. Et lorsque je prends des photos ou m’applique au site internet, lui se couche sous le camion, ouvre le capot moteur et vérifie toujours que tout va bien car il a sur lui le poids de la responsabilité mécanique, ce qui est très pesant lorsqu’on n’aime pas vraiment ça. Et heureusement que nous avons une Bestiole loyale qui ne se déglingue pas tous les quatre matins.

Donc ce voyage se résume à ça pour lui: mécanique-conduite-dépenser des sous en essence pour des distances qui seraient bien mieux venues en avion. Je comprends bien tout ça. Ce n’est pas moi qui change les roues quand on crève. (ceci dit je tiens à préciser que cela fait 4 mois sans crevaison, et toc Yann et Géo vous qui vous moquiez!)

Alors l’heure de la remise en question sur notre voyage est arrivée. Il y a un moment où il faut prendre une décision quant à l’avenir de notre vie et surtout préserver sa vie de couple et son harmonie qu’elle que soit la décision de prise. Lorsque parcourir ce continent n’a plus le même goût pour l’un que pour l’autre, il faut faire la part des choses. Nous devons penser au retour, et penser à voyager autrement.

Mais pour l’heure, ce n’est pas fini, nous allons continuer un bout, rattraper la chaleur et nous verrons après pour le retour.

29 Juin: Les gones arrivent des Andes, ils se sont pris une tempête de neige à Tolar grande qui a bien failli les coincer un bon moment. Eux aussi qui pensaient retrouver un peu de réconfort sous le soleil de Salta sont très déçus. Il fait de plus en plus froid. Les bananiers du camping ont tous gelé cette nuit. C’est désespérant. On ne peut même plus mettre le nez dehors pour l’apéro, ou disons qu’il faut se motiver très fort pour une chose pour laquelle on ne se fait pas prier d’habitude!

2 Juillet: Nicole et Alain, dits les Dudus, arrivent au camping accompagnés de leur petit-fils Théo venu les rejoindre.

Nous correspondions par internet avant de nous connaitre, cela nous fait donc très plaisir de nous rencontrer pour de vrai. Du coup, on tente le pic-nic dehors, mais les pâtes sont froides à peine arrivées sur la table. Leur blog: http://duduland.canalblog.com/

Nous restons jusqu’au 5 Juillet ensemble, tous les hommes de nos trois équipages affairés à la bricole. De mon côté, je m’occupe des bois décoratifs de côté, ponçage, 6 couches de vernis. Beau comme un bateau le camion!

Sur ce, d’autres Français arrivent, Annabelle et Nicolas, Hélène et Max et leurs deux enfants: www.manohe.com.

Et voilà de nouveau la French connexion. En revanche, le froid nous empêche de nous retrouver tous autour d’un asado comme il se devrait. Mais l’apéro avec Seb et Max qui dura jusqu’à 4H du matin sera mémorable. La bière ça ne réchauffe pas, mais le rhum oui!

4 Juillet: Ce soir c’est resto avec les Dudu et les gones car demain tout le monde s’en va, sauf nous et Maud et Seb. Enfin, si c’est possible car il n’y a plus de carburant dans aucune station de Salta. Et pas seulement, nous apprenons que la pénurie s’étend à toutes les provinces du Nord du pays. Des files de 500 mètres attendent les éventuels camions citernes. Certains dorment devant les stations service. Cela fait déjà au moins 10 jours que nous constatons que les stations sont bien désoeuvrées par moment.

5 Juillet: Le moral est en berne, on ne sait pas combien de temps le problème va persister, et les pronostics sont mauvais. Jusqu’à la fin des vacances entend on dire. On fignole nos véhicules en trainant des pieds, on prend deux douches par jour pour se réchauffer, on s’ennuie sérieusement.

6 Juillet: Après avoir tenu un conseil de groupe, nous délibérons et sommes favorables à une tentative de fuite de la ville en espérant que les stations essence petites villes du Nord soient moins prises d'assaut.

Nous n’avons chacun que 150 km d’autonomie avec ce qu’il nous reste et arrivant au bout, nous choisissons une station shell avec wifi et nous nous garons le plus près des pompes possible.

Il est 14h....

On a tous des vers au derrière, on n’en peut plus d’attendre. Heureusement qu’on peut faire un peu de skype et se faire taquiner par les autres voyageurs que nous connaissons via facebook.

Il est 22h... un camion citerne arrive. Youpiiii!!!!!

Il est 23h, nous sommes bien placés en tête de file, et bonne nouvelle, il n’y a pas de restriction de plein comme à Salta. Nous avons bien fait de bouger du camping!

On dort sur le terrain de foot de San Pedro de Jujuy. Et la végétation luxuriante nous promet des jours meilleurs.

7 Juillet: Listo! En piste.

Nous allons au Parc National Calilegua, camping gratuit, toilettes et eau courante. On se sent au paradis car pour la première fois, nous laissons nos polaires au placard. Il fait au moins 25 degrés, on cueille des papayes vertes sur la piste dans la forêt, la nature est très extravertie, la rivière coule en contre-bas de la zone de campement, et il y a plein de randonnées à faire.

Voilà qui a de quoi nous mettre du baume au coeur. Le moral remonte avec la température.

Les gardiennes du parc nous offrent des fascicules d’identification des traces de pattes des animaux de la forêt: tapirs, pumas, coatis, biches, ratons laveurs, chats sauvages, loutres, visons, agoutis... ainsi que celui pour reconnaitre les arbres.

Nous sommes juste en dessous du tropique du Capricorne. Ce parc préserve la forêt Subtropicale appelée ici les Yungas, un climat marqué par une saison des pluies lors des mois les plus chauds en été. En cette période, c’est beau ciel bleu et chaleur légèrement humide.

Nous retrouvons les joies des repas en plein air, des soirées au coin du feu, la douche dans la rivière.

Enfin, pas pour tout le monde, il y en a qui s’embourgeoisent un peu...suivez mon regard...

Nous explorons les environs et passons nos yeux sur tout, quelques insectes qui jouent à cache-cache, au mimétisme qui rend intéressante la traque et certains se font piéger par nos appareils photos parfois. Nous étions en manque de verdure, d’arbres, de bébêtes. Pour ce qui est des mini-mouches qui piquent nous sommes servis merci!

Oeil de Lynx est dans son élément, et Tarzan aussi, il y a de quoi crapahuter!

Séquence petit pincement au coeur, on trouve des mues de cigales! Dommage, ce n’est pas la saison ici. Si on me demandait ce qui me manque en France, je répondrais les cigales en Provence, surtout qu’elles sont déchainées en ce moment chez nous.

Avec Maud on se régale de petites chenilles ébouriffées ou aux coupes structurées et bien entretenues. Quand je dis on se régale, je précise qu’on ne les mange pas. Celles-ci sont trop poilues, ça démange la gorge.

Nous partons ensuite sur les traces de mammifères. Selon notre fascicule, nous trouvons des empreintes de puma, de biche, de raton laveur, d’agouti et d’humains.

Les berges de glaise de la rivière trahissent les déplacements de chacun. Mais pas fous, les animaux sauvages nous voient de bien loin et ne se montrent pas.

On a l’habitude de se faire narguer par le puma. Nous avons trouvé ses empreintes dans plusieurs endroits d’Argentine.

Ce soir, c’est repas au coin du feu. Nous faisons la rencontre de Mikaëla et Fabian, un couple d’Argentins rastas qui vivent de leur potager et de leur artisanat. Pendant les mois d’hiver, lorsque le potager n’est plus exigeant, ils partent visiter leur pays avec leur bébé Nehuen dans leur jeep bâchée. Ils viennent tout juste de Salta où il fait maintenant 26 degrés. Nous n’avons vraiment pas eu de chance, la vague polaire était pour nous!

Nous faisons la rencontre d’un oiseau magnifique à la robe jaune, noire violacée et bleue électrique. Il est tout aussi curieux que nous et se rapproche de nos objectifs. Il est habitué à voir des bipèdes de notre espèce certainement, car son intérêt pour nous paraît presque anormal... il reste là à nous observer si longtemps que nous partons les premiers après des dizaines de clichés. Son nom commun ici est Urraca, un oiseau de 32 cm de la famille des geais. Son ramage est très varié, il nous fait écouter différents sons. Peut-être parle t’il plusieurs langues d’oiseaux!

8 Juillet: Nous allons tout hardis en randonnée. On fait une belle boucle de plus de 10 km à travers les yungas. Nous entendons de nombreux bruits dans les feuilles, l’écart entre nous se creuse naturellement, plus personne ne parle, nous sommes envoûtés. Nous débouchons sur une petite lagune où poules d’eau, grillons et grenouilles nous inspirent une petite pause.

Nous avons bien mérité notre plat de pâtes! Ce parc nous a revigorés, dormir dans la chambre de toit avec juste ce qu’il faut de fraicheur, avec vue sur la lune et les étoiles aux sons de la forêt nous a fait beaucoup de bien. Le plaisir du voyage est retrouvé.

9 Juillet: Nous quittons Calilegua et ses oiseaux familiers pour trouver les thermes de Caïmancito.

Le couple d’Argentins nous en ont parlé, alors nous allons les chercher.

Ce n’est qu’à une poignée de km d’ici, nous partons faire quelques petites courses au village de Calilegua. Nous voyons deux beaux papayers dans le jardin d’un vieux petit monsieur. Je lui demande s’il ne voudrait pas nous en vendre quelques unes. Sans me répondre sur le sujet, il me propose de visiter son jardin. La troupe me rejoint et nous voilà à goûter ses kumquats, à causer cuisine et à repartir avec du basilic, de la menthe, et nos papayes vertes. Je lui donne notre recette car ici, les papayes se mangent matures, c’est pourquoi nous n’en trouvons pas de vertes sur les marchés. Nous, on en fait du cassoulet!

Avec oignons et saucisses, ça fait un très bon ragoût exotique.

Nous arrivons à Caïmancito et trouvons les thermes. C’est en fait un camping magnifique où l’eau coule chaude de partout même aux chasses d’eau! Il y a une rivière chaude qui coule dans le camping, et trois grandes piscines sont aménagées pour en profiter plus facilement.

Maud et moi mettons les hommes aux pluches et c’est Thillou qui va nous préparer son fameux cassoulet papaye. Et dans un moment d’inadvertance, il faillit nous faire manger ses crocs!

Nous partageons notre repas avec nos amigos rastas Argentins qui viennent d’arriver, et nous passons une bonne soirée que nous finirons très très détendus!

10 Juillet: La nuit aurait pu être très douce, aux chants des grillons et des oiseaux de nuit, mais non, nous avons été bercés par les ronflements des campeurs d’à côté. Nous avons été encerclés hier dans la soirée. De nombreuses familles sont venues s’installer devant et autour de nous. La place commençait à manquer, mais cela restait très convivial. Les enfants et leurs parents passent le week end ici et comptent bien en profiter le plus possible. Alors nous ne nous plaignions pas car on sent bien que tout le monde s’amuse et ça fait plaisir pour eux. Mais alors, qu’est-ce qu’ils ronflent! Cela nous a réveillés plus d’une fois, et tout le monde en a profité, des ronfleurs de compétition!

Alors comme nous nous sentons un peu à l’étroit et que les nuits futures risquent d’être les mêmes, nous levons le camp après un bain matinal agréable, pendant que tout le monde dort ou ronfle.

Nous roulons à travers les cultures de canne à sucre et les vergers de manguiers. Les camions que nous croisons sont longs de 4 remorques remplies de cannes, on se fait tout petits lorsqu’ils passent près de nous. C’est aussi une des régions où Monsanto et son round up ont élu domicile.

Nous passons le Tropique du Capricorne, les étals de fruits et légumes commencent à être intéressants, nous roulons jusqu’à 60 km de la frontière Bolivienne, il fait 30°. Nous nous postons dans une station wifi pour la nuit.

11 Juillet: Nous passons dans la dernière ville avant de passer la frontière: Tartagal... à la récré. Oui, il fallait que je la fasse celle-là. On change notre bouteille de gaz pour avoir le plein avant de quitter l’Argentine, on achète du répulsifs car les trucs qui piquent commencent à nous faire rager, et cet après-midi, nous serons en Bolivie.